Courrier de STOP OGM Pacifique adressé aux institutions de la Nouvelle-Calédonie

Au niveau international, les projets de modification génétique des insectes se multiplient, en particulier ceux relatifs aux moustiques. De fait, le moustique génétique modifié (GM) est le 1er AGM (animal génétiquement modifié) à avoir été disséminé dans l’environnement. L’objectif annoncé est de lutter contre les maladies vectorielles transmises par les moustiques, la principale stratégie étant de réduire les populations sauvages dans l’environnement. Nous avons été informés de projets dans ce domaine au sein de l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie. Aussi, notre association souhaite vous interpeler et vous alerter à ce sujet et vous exprimer sa plus grande inquiétude.
Leader mondial dans le domaine, l’entreprise britannique Oxitec développe des moustiques transgéniques Aedes Aegypti, conçus pour être dépendants à la tétracycline, un antibiotique. Le transgène
inséré dans le génome du moustique GM produit une protéine qui est censée tuer l’embryon en cours de développement lorsqu’il n’a pas grandi en présence de l’antibiotique. Lâchés dans la nature,
les moustiques GM mâles, préalablement sélectionnés, s’accouplent avec les femelles « sauvages » produisant ainsi, théoriquement, une descendance qui n’atteindra pas l’âge adulte puisque
l’embryon aura grandi dans l’environnement en absence de tétracycline.
Oxitec, liée au groupe Syngenta (l’un de leader mondial des biotechnologies) a relâché ses moustiques GM dans plusieurs pays. Le premier lâcher dans l’environnement a été lancé en 2009 avec 3 millions de moustiques dans un Pays et Territoires d’Outre-Mer européen (PTOM), les Iles Caïmans (britannique). Ont suivi la Malaisie en 2010, puis le Brésil (région de Bahia) où moustique GM a été autorisé en 2011. D’autres lâchers pourraient prochainement voir le jour en Floride, et dans le pays suivants : Panama, Inde, Singapour, Thaïlande, Viêt-Nam, Philippines, Costa-Rica et Trinité Tobago.
Une fausse bonne solution
Pourtant cette technologie pose des problèmes tant au niveau technique qu’environnemental et éthique. Il a d’abord été prouvé qu’environ 4% des larves peuvent survivre jusqu’à l’âge adulte en
laboratoire en absence de tétracycline, et que dans les milieux ouverts, le taux de survie atteindrait plus de 15% étant donné que la tétracycline est un antibiotique largement utilisé en
médecine humaine et vétérinaire et se trouve présent dans les eaux usées et effluents d’élevage.
L’utilisation de cette technologie nécessite de procéder de façon régulière et quasi-continue à des lâchers, impliquant dès lors d’énormes coûts et une dépendance à une technologie brevetée par
ses détenteurs… alors que les essais menés rapportent une diminution de 80% des populations au maximum. L’insuffisance des études d’impact sur la biodiversité a été pointée du doigt, tout comme
l’absence de mise en corrélation des lâchers avec la prévalence des maladies. Au Brésil l’Etat de Bahia a décrété l’état d’urgence sanitaire face à une recrudescence de l’épidémie de dengue
quelques mois après les lâchers : la réduction de la population d’Aedes Aegypti laisserait une niche écologique vide dont profiterait le moustique « tigre » Aedes Albopictus, espèce tout aussi
dangereuse, pour pulluler. L’évaluation laxiste de ces lâchers de moustiques GM est d’autant plus inquiétante qu’aucun suivi post-commercial n’est assuré par Oxitec.
Il faut également signaler que la technique de sélection des mâles n’est pas fiable à 100%, impliquant le lâché dans les milieux naturels de moustiques transgéniques femelles en capacité de
piquer. Or, le transgène «piggyBac» inséré dans l’ADN du moustique GM est susceptibles d’être transféré aux personnes piquées ce qui peut causer des mutations dans le génome
humain.
Nécessité de transparence
Il nous a été rapporté qu’une chercheuse de l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie a annoncé, lors d’une récente réunion des acteurs bénéficiaires au 11ème FED (Fond Européen de Développement),
que des recherches sur les moustiques génétiquement modifiés seraient conduites dans le cadre du projet de création d’un Pôle régional « sécurité biologique », dont l’objectif est de suivre les
espèces envahissantes (dont les insectes) en lien avec le suivi des maladies transmises par ces espèces. Cette personne ne nous a pas reçus malgré plusieurs demandes de rendez-vous.
Nous avons cependant pu rencontrer, M. Laurent Guillemot, entomologiste à l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie, qui nous a rapporté que l’institut a déjà été contacté par la compagnie Oxitec
en vue de réaliser une expérimentation grandeur nature des moustiques GM sur l’île de Tiga.
Le Haut Conseil de la Santé Publique vient d’annoncer, dans un rapport sur la prise en charge des personnes malades du zika, que les moustiques porteurs des maladies vectorielles telles que la
dengue, le chikungunya et le zika, sont désormais présents dans plus de 15 départements du territoire métropolitain, et s’inquiète de l’expansion du phénomène pour la santé des français. Ces
maladies tropicales qui étaient autrefois circonscrites aux pays du Sud et à quelques territoires d’Outre-Mer, les financements pour lutter contre elles étaient limités. Aujourd’hui la dengue
touche également les Etats-Unis. Le projet INFRAVEC (Research capacity for the implementation of genetic control of mosquitoes), financé par l’Union Européenne, regroupe au niveau international
des instituts de recherches, dont le CNRS, l’IRD et l’Institut Pasteur, pour des travaux dans ce domaine. Ce consortium se compose de 31 laboratoires d'universités et d'entreprises, dont
Oxitec.
Dans ce contexte, STOP OGM Pacifique s’inquiète de l’attrait que représentent les PTOM européens, où les réglementations européennes et nationales sur les OGM ne s’appliquent pas, pour des
instituts de recherche tels que l’Institut pasteur, l’IRD ou le CNRS, en collaboration avec des entreprises comme Oxitec, pour réaliser des expérimentations non autorisées en Europe. Tiga répond
parfaitement aux critères de taille et d’isolement (10km² pour 150 habitants) susceptibles d’en faire un laboratoire expérimental grandeur nature pour les chercheurs français, comme les
Iles Caïmans l’ont été pour le Royaume-Uni.
Pour ces raisons, nous souhaitons que cette situation soit clarifiée avec les parties concernées, et exigeons une pleine transparence de l’information auprès du public sur les recherches menées
sur le territoire ou en projet dans la région. Il faut noter que les lâchers de moustiques GM aux Iles Caïmans et en Malaisie ont été menés de manière opaque sans consultation du public en dépit
des lignes directrices du protocole de Carthagène, pour des résultats insatisfaisants et couteux que la Malaisie vient récemment de tourner le dos à cette technologie.
Cette manipulation génétique est jugée par certains généticiens comme potentiellement la plus dangereuse à avoir jamais été créée. Nous souhaitons vous rappeler pour conclure que d’une façon
générale, les stratégies qui font appel aux OGM sont basées sur une compréhension simpliste et à courte vue sur la façon de gérer la nature, dans laquelle les êtres vivants ont une constante
capacité d’adaptation. Encore aujourd’hui, personne ne peut prévoir les conséquences des lâchers de moustiques transgéniques, ne serait-ce que parce que les complexes interactions dans les
écosystèmes entre le moustique Aedes Aegypti et les autres espèces de moustiques, leurs prédateurs et leurs proies, les virus transmissibles à l’homme, restent peu connues et comprises. Au niveau
de la lutte anti-vectorielle, les mesures de contrôle les plus efficaces restent bien celles visant à élimer les gîtes larvaires liés aux activités humaines, dans lesquelles le territoire aurait
selon nous tout intérêt à se concentrer de façon plus intensive.
STOP OGM Pacifique
Pour aller plus loin :
La Malaisie abandonne le « moustique OGM » contre la dengue
http://www.infogm.org/5788-malaisie-abandon-moustique-OGM-contre-dengue
Lutte contre la dengue : des alternatives aux OGM
http://www.infogm.org/5737-lutte-contre-la-dengue-des-alternatives-aux-ogm
Insectes génétiquement modifiés : une aberration écologique
http://www.infogm.org/5050-insectes-OGM-une-aberration-ecologique
Will GM Mosquitoes Increase Disease Spread by other Species?
http://www.i-sis.org.uk/Will_GM_mosquitos_Increase_Risk_of_Disease.php